Trois ans après la mise en service du Rapibus, le conseil d’administration de la Société de transport de l’Outaouais (STO) mandate Strategia Conseil pour réaliser un examen indépendant du projet de système rapide par bus (SRB) construit en 2013.
Les objectifs du mandat étaient :
- Expliquer clairement les écarts de coûts et de temps et leurs causes;
- Répertorier les forces et faiblesses de la gestion, et de la gouvernance du projet;
- Présenter les constats et faire les recommandations visant à influencer la qualité et la performance de gestion de projets ultérieurs.
Les imprévus rencontrés au cours de sa réalisation ont causé une augmentation importante des coûts initiaux et un dépassement de l’échéancier annoncé.
Le projet : déployer une nouvelle infrastructure de transport
Le projet Rapibus a été initié il y a une vingtaine d’années. Dans la région de l’Outaouais, l’achalandage est alors important sur les routes menant à des congestions aux heures de pointe, et même hors pointe.
La Communauté urbaine de l’Outaouais (CUO) mandate la Société de transport de l’Outaouais (STO) pour améliorer la fiabilité et la rapidité du transport en commun, plutôt que de construire un pont interprovincial additionnel.
Diverses études identifient l’intégration d’une voie de bus réservée, dans l’emprise du corridor ferroviaire existant, comme le meilleur choix technologique. Essentiellement, le projet Rapibus est un Système Rapide par Bus sur une voie bidirectionnelle de 15 km.
À la demande du Ministère des Transports du Québec (MTQ), une étude de faisabilité est réalisée en 2004. Une autorisation de principe à la préparation des plans et devis est alors accordée en octobre 2007. En juin 2009, les études d’avant-projet préliminaire et d’avant-projet définitif sont déposées.
Cinq mois plus tard, en novembre 2009, le MTQ accorde une autorisation finale et annonce sa participation financière à la réalisation du projet Rapibus, à hauteur de 75 %, via son programme d’aide gouvernementale au transport collectif des personnes. La ville de Gatineau assume le 25 % restant.
Au fil des années, plusieurs adaptations sont faites à la portée du projet. Ces adaptations engendrent notamment un dépassement de
l’échéancier initial et une hausse des coûts prévus.
Sommaire des coûts et des retards
Le tableau ci-dessous résume les dépassements de coûts et de temps pour le projet.
Comment expliquer une hausse des coûts de 16,2% et un retard de plus de 25 mois?
Les causes des retards sur l’échéancier
Trois principales causes du retard entre l’échéancier de référence et l’échéancier réel du projet ont été identifiées.
1. L’adoption d’un échéancier de référence inapproprié
L’échéancier annoncé a été établi alors que le degré de définition du projet n’était pas suffisant pour permettre une juste évaluation de sa durée.
Cet échéancier aurait dû être associé à une durée « indicative » du projet, avec une certaine marge de précision, plutôt qu’à une durée absolue. La durée de 40 mois aura été interprétée bien prématurément comme une valeur réaliste de l’échéancier cible du projet.
2. L’absence d’une planification avisée
L’échéancier de l’étape d’avant-projet définitif, produit à un moment où étaient disponibles des informations détaillées sur le projet, présente des durées d’activités de conception nettement sous-estimées.
Une meilleure planification aurait ainsi évité la nette sous-estimation du temps requis pour les activités de conception.
3. L’absence de contingence pour risques dans l’échéancier
L’échéancier aurait dû intégrer une contingence pour risques de temps. Bien qu’il soit impossible de prévoir tous les imprévus, il aurait été judicieux de réaliser, à l’étape d’avant-projet, une analyse de risques qui aurait identifié les risques et quantifié la probabilité de ne pas respecter l’objectif de 40 mois.
Les causes de la hausse des coûts
Si on compare le coût final prévu de 282 M$ avec le budget-cible de 233,5 M$, il en résulte un écart de 48,5 M$ ou 20,8 % du budget.
De façon sommaire, cet écart de 48,5 M$ est dû à trois facteurs principaux :
- l’indexation des coûts (± 18 M$);
- l’augmentation des coûts indirects dans la Phase 1 (± 23 M$);
- l’augmentation des coûts directs dans la Phase 2 (± 7 M$).
1. L’indexation des coûts
La cause la plus importante de dépassement est le facteur d’indexation des coûts. Pour une réalisation des travaux en 2016-2017, le budget de 27,7 M$ (en dollars 2010) doit être indexé de 5,5 M$, portant le montant total à 33,2 M$.
Malgré son importance, ce taux est rarement pris en compte dans les documents financiers de ce projet, car l’année de référence de la valeur du dollar n’y est pratiquement jamais mentionnée. Son impact sur les coûts d’un projet est fort important, car il permet d’obtenir une mesure de la véritable valeur des travaux au fil de l’évolution des années.
2. Augmentation des coûts directs et indirects
Outre le facteur d’indexation des coûts, le dépassement budgétaire est attribuable principalement à des coûts directs supplémentaires découlant de changements à la portée des travaux initiale et des frais indirects sous-évalués, notamment :
• les services professionnels;
• les frais généraux de chantier;
• la gestion du bureau de projet et le financement.
L’augmentation des coûts indirects est liée certes à une sous-évaluation budgétaire, mais aussi un échéancier beaucoup trop optimiste (voir ci-haut).
D’autres facteurs d’impact sur le projet
La gouvernance de projet
L’enjeu premier réside dans la capacité de la STO et de son équipe à s’adapter à son nouveau statut de « maître d’ouvrage ». Passer d’un mode opérationnel d’un réseau de transport à celui de responsable de la gestion de projets est un virage non négligeable.
En effet, bien que la STO ait tenté de mettre sur pied une organisation en mode « projet » qui soit efficiente et efficace, le peu d’expérience de l’organisation en gestion de grands projets constituait pour les parties prenantes un risque important.
Celui-ci aurait pu être atténué, par exemple, par la mise en place d’une structure de gouvernance adaptée au contexte et par l’accompagnement d’experts en gestion de projets de construction.
L’analyse des risques
Le Rapibus est un projet original. Aucun projet semblable n’avait au préalable été réalisé au Québec. En soi, le fait d’implanter en milieu urbain et dans un même corridor une voie ferroviaire, deux voies pour autobus et une piste cyclable, croisant 18 intersections, pose des défis d’aménagement inusités.
Il était prévisible que le processus de réalisation soit parsemé de problématiques à solutionner et d’incertitudes à clarifier. Bien que les documents de définition du projet (étude de faisabilité-2004, charte de projet-2008 et APP/APD) fassent état de considérations et de mises en garde concernant l’environnement du projet et certaines conditions pouvant affecter sa faisabilité, celles-ci n’ont pas été présentées sous forme de risques pouvant quantifiables.
Des analyses de risques, effectuées aux différentes étapes de réalisation du projet, auraient été éminemment souhaitables. Elles auraient permis d’appréhender les événements et certainement facilité la gestion du projet, notamment en évaluant leurs impacts potentiels sur l’échéancier et les coûts.
Conclusion
Le Rapibus est un projet de transport collectif innovateur et de grande envergure. Il n’existait pas de projet semblable à l’échelle du Québec pouvant servir de modèle.
La réalisation d’un tel projet d’infrastructure publique pose des défis techniques et organisationnels majeurs, ce qui justifie d’autant plus la nécessité de mettre en place une structure de gouvernance adaptée et transparente, et d’être accompagné par des experts en gestion de projet de construction.
À notre avis, le succès de tout projet, de surcroît lorsqu’il est de grande envergure, nécessite un encadrement de gestion avisé et rigoureux. L’adoption d’une approche structurée très tôt dans le processus aide à positionner le projet par rapport à son cheminement progressif de conception et de réalisation.
En conclusion, nous saluons l’initiative de la STO d’effectuer une analyse post mortem du projet pour faire ressortir les forces et défaillances des mécanismes de gestion et de gouvernance mis en place.
Les principales leçons à tirer de ce projet sont :
- Instituer une gouvernance adaptée aux exigences particulières du projet
- Disposer d’un budget et d’un échéancier réalistes avant d’entreprendre un projet (faire évaluer de façon indépendante, si requis)
- Renforcer l’application des bonnes pratiques en gestion de projet
- Être accompagné par des experts externes qui puissent compléter l’équipe du donneur d’ouvrages
- Appliquer une approche de gestion de risques à toutes les étapes du projet
- Effectuer un suivi avisé de l’ensemble des activités du projet par le gestionnaire de projet
Note : La présente étude de cas est basée sur le rapport de Strategia Conseil qui peut être consulté en ligne.